Albert II, beaucoup de bruit pour rien

Albert II, beaucoup de bruit pour rien

http://www.lesoir.be/563161/article/debats/cartes-blanches/2014-06-04/albert-ii-beaucoup-bruit-pour-rien

Deux histoires qui se télescopent.

Première histoire.

Nous sommes chez les Atrides du XXIe siècle. Albert II qui a abdiqué il y a moins d’un an nourrit un profond ressentiment à l’égard du monde politique et à l’égard de son fils et successeur, le Roi Philippe. Il se plaint de la maigreur de sa dotation. Il déplore l’autoritarisme du Palais qui a été jusqu’à mettre fin aux fonctions de son principal collaborateur qu’il a dû réengager à ses frais. Cette histoire, c’est Tatie Danielle au palais Royal. On va voir ce que l’on va voir. Il va se venger. Chirurgicalement, il choisit la manière et le moment. La manière sera de donner une interview au coin du feu sans avoir demandé l’autorisation à son fils ou au service Presse du Palais. La manière, c’est de provoquer un conflit communautaire en ne s’exprimant qu’en français dans une chaîne privée francophone. Le moment est celui où son fils doit négocier le premier virage délicat de son règne, à savoir intervenir dans le processus ô combien délicat de formation du gouvernement fédéral. Albert II saboterait ainsi la mission de son fils. C’est cette histoire-là qu’à peine moins caricaturée, la presse quasi unanime a racontée.

Deuxième histoire.

Dans un pays où de très nombreux téléspectateurs se passionnent pour des émissions, telles Place Royale ou C’est du Belge, Albert II est contacté par un journaliste de RTL-TVi. Celui-ci lui propose une interview au coin du feu à l’occasion de son quatre-vingtième anniversaire. Albert II se souvient de l’émotion provoquée par son abdication, du respect unanime qui lui fut alors témoigné et de l’amour qui est le sien pour le pays dont il a été le chef de l’Etat pendant vingt ans. Il lui plaît de renouer ainsi le contact avec la population. Conscient plus que quiconque du devoir de réserve qui s’impose à lui, il sait qu’il n’évoquera pas à cette occasion, l’actualité politique présente ou passée. Il accepte donc de donner cette interview comme le font tant de personnalités publiques retirées de la vie active.

Choisir entre ces deux histoires aurait dû être aisé tant la première d’entre elles paraît saugrenue. Comment un homme qui a assumé ses fonctions de manière parfaitement honorable pendant vingt ans se transformerait ainsi en fauteur de trouble, amer et revanchard ? La lecture de la presse, ce 4 juin, laisse cependant penser que nombre de commentateurs de la vie politique donnent crédit à l’hypothèse de la vendetta. Sans doute existe-t-il des tensions familiales entre le Roi et son père, voire entre leurs entourages. Pour autant qu’Albert II n’interfère pas par ses propos dans le champ de la vie politique – et on peut supposer que tel a été le cas lors de cette interview – de telles tensions relèvent de l’intimité des protagonistes. Ce qui est plus étrange, c’est que la lecture qui est donnée de cet épisode a pour effet d’affaiblir la monarchie, là où l’objectif, pour certains, semble de la conforter.

Albert II, après son abdication, est redevenu un citoyen ordinaire, ou presque. Tout au plus doit-il respecter un code de bonne conduite dans son expression publique, et ce en contrepartie de la dotation auquel il a droit. Il doit veiller à ne pas compromettre par ses propos, ses attitudes ou ses comportements la dignité et la respectabilité qui s’attachait à sa fonction et faire preuve de réserve dans l’expression publique de ses opinions. Il doit témoigner de respect pour les conceptions politiques, philosophiques, idéologiques ou religieuses qui s’expriment dans une société démocratique. C’est bien là les seules contraintes qui s’imposent à lui et il est improbable qu’il les ait méconnues.

Contrairement à ce qui a été affirmé, il ne doit pas solliciter l’autorisation de quiconque avant de s’exprimer publiquement. Il lui est loisible de le faire dans la langue de son choix et au moment où il l’estime opportun. Il est grand temps, si ce système veut bénéficier d’une quelconque pérennité, de faire entrer la monarchie dans l’ère de la normalité et de la vraie vie.

Dans la vraie vie, un homme de quatre-vingts ans ne demande pas à son fils l’autorisation de s’exprimer dans les médias. Dans la vraie vie, un homme peut fêter son anniversaire librement et adresser à cette occasion des messages à qui il entend. Albert II n’est pas responsable si la date de son anniversaire coïncide avec une crise politique. Une monarchie parlementaire et démocratique se résume aux actes et aux comportements du seul titulaire de la fonction. Il est fini le temps des cours royales, des jeux de cour, des rivalités de cour. Le Roi n’est pas responsable de l’attitude de sa famille. Il n’a pas à supporter les conséquences des erreurs ou des maladresses des membres de celle-ci, pas plus qu’il n’a à régenter leur attitude.

La loi prévoit aujourd’hui que le gouvernement et la Chambre apprécient souverainement si les membres de la famille royale ont méconnu le code de bonne conduite qui s’impose à eux et s’il convient d’en tirer des conséquences. Albert II n’a donc en droit comme en fait aucun compte à rendre son fils. Bref, la polémique qui entoure son interview n’a pas lieu d’être. Sauf si celle-ci devait contenir des propos fracassants, il s’agit d’un non-événement et il serait sain de ne pas faire de l’insignifiant une affaire d’Etat.

Une histoire de...   
Qui n'intéresse personne en fait...