Corée du Nord

La Corée du Nord serait sur le point de procéder à un quatrième essai nucléaire. A-t-elle réellement les moyens d’embraser la planète avec le feu nucléaire ?

L’embraser, certainement pas. Très probablement, elle a des capacités nucléaires, les moyens de faire exploser une bombe. Quant à savoir si elle peut l’utiliser de manière efficace dans un cadre militaire, c’est déjà moins sûr. Elle dit qu’elle a les moyens de miniaturiser suffisamment une bombe nucléaire pour la mettre sur un missile intercontinental, mais dans la réalité, elle est loin du compte. Si elle maîtrise suffisamment certaines technologies pour que ça inquiète, oui. Mais ce n’est pas dans son intérêt. Va-t-elle le faire ? Probablement pas. Ce qui risque d’arriver, c’est plutôt une escalade, un mouvement de provocation, qui mette le feu aux poudres.

Pourquoi le nouveau leader nord-coréen, Kim Jong-Un, joue-t-il ce jeu ? Est-ce à usage interne ou essaye-t-il de s’imposer sur la scène internationale ?

C’est la question à un million de dollars… Ce qu’on sait : ce n’est pas dans son intérêt de déclencher une guerre. Il applique une stratégie qu’il a héritée de son père : faire pression via le nucléaire sur la Corée du Sud et les États-Unis pour obtenir des concessions. Lesquelles ? Par le passé, ça a été des aides alimentaires, une reconnaissance des intérêts sécuritaires nord-coréens… Maintenant, dans un cadre où la transition peut poser problème, il est en train de chercher une assurance, via des renégociations par exemple, du statut de la Corée du Nord et de son statut de leader légitime.

Y a-t-il un usage interne à cette escalade ?

Réformer l’économie de son pays risque en effet d’être problématique pour lui et de nuire à sa légitimité. Par contre, poursuivre un agenda nucléaire – on le voit également en Iran – permet aux leaders politiques de s’affirmer et de mobiliser leurs généraux et une partie de la population. Cela permet aussi de stigmatiser les mauvais traitements diplomatiques de la part d’autres pays. Cette escalade sert donc un but interne de consolidation du pouvoir et un but externe en vue de s’affirmer comme pays indépendant et souverain, capable d’influence, voire de nuisances.

Un chiffre revient souvent : la Corée du Nord dispose de la 5e armée au monde. Est-ce une armée solide et dangereuse ?

Numériquement, elle est effectivement très forte, mais dans quelle mesure ses équipements peuvent-ils rivaliser avec ceux du Sud ou des États-Unis… On voit ça notamment avec ses chars, qui sont des résidus de l’assistance soviétique. Idem pour ses avions.

Assiste-t-on aussi, à travers ce dossier nord-coréen, à un bras de fer entre la Chine et les Etats-Unis, ces derniers ayant affiché leur intention de reprendre l’initiative en Asie ?

Oui, ce dossier s’inscrit dans le contexte du « pivot », cette volonté américaine de rééquilibrer l’effort diplomatique américain vers l’Asie-Pacifique. Avec beaucoup de succès jusqu’à présent. On l’a vu en Australie, au Vietnam et dernièrement au Myanmar. Les nouveaux dirigeants chinois tentent de faire face à cette dynamique qui lui semble de plus en plus défavorable en maintenant certains alliés en place ou en essayant de développer encore son influence au Laos, au Cambodge ou en Corée du Nord. Mais cela pose problème actuellement puisque la Corée du Nord a choisi de jouer l’État provocateur, va-t’en-guerre.

Peut-on imaginer que la Chine lâche la Corée du Nord ?

Dans l’immédiat, non. Mais pour la première fois, des débats très sérieux ont lieu à Pékin parmi les élites chinoises quant à savoir les liens à entretenir avec la Corée du Nord. Il faut savoir que l’économie nord-coréenne vit sous perfusion chinoise. Si la Chine venait à la lâcher, on voit mal comment elle pourrait survivre. Mais personne n’a intérêt à une modification drastique de la situation actuelle. La Chine, qui n’a pas envie d’une implosion du régime nord-coréen et d’une présence américaine à ses frontières ; la Corée du Sud craint une réunification éventuelle ; les Etats-Unis non plus, d’autant que la crise nord-coréenne légitime leur budget militaire élevé ; le Japon n’a pas envie d’une Corée réunifiée qui pourrait concurrencer sa puissance économique.

La Corée du Nord est incapable de mettre à exécution la plupart de ses récentes menaces contre la Corée du Sud et les États-Unis, a estimé à Vienne l’Américain Siegfried Hecker, expert nucléaire.

Pyongyang « aboie, mais ne mord pas », selon ce spécialiste, qui a visité dans le passé à plusieurs reprises des installations nucléaires nord-coréennes, notamment en 2010. Les Nord-Coréens « ne peuvent pas mettre à exécution la plupart de leurs menaces », a-t-il expliqué, s’exprimant à l’occasion d’une visite faite au Centre pour le désarmement et la non-prolifération (CVDNP) dans la capitale autrichienne. Il a relativisé la portée de l’annonce de la Corée du Nord sur sa volonté de faire redémarrer son réacteur nucléaire de la centrale de Yongbyon, fermée en 2007 dans le cadre d’un accord international soutenu par les États-Unis. La Corée du Nord ne dispose « pas de beaucoup » de plutonium, entre 24 et 42 kilogrammes, mais de suffisamment pour quatre à huit ogives nucléaires. D’après lui, il faudra six mois pour que la centrale de Yongbyon soit de nouveau opérationnelle et environ trois ans avant que la centrale ne puisse produire du plutonium, une des matières fissiles qui peuvent être utilisées dans une bombe nucléaire, tout comme l’uranium hautement enrichi. Il n’est pas encore été établi si la Corée du Nord a utilisé de l’uranium pour son troisième essai nucléaire le 12 février ou du plutonium comme pour ses deux premiers tests en 2006 et 2009. Depuis le dernier essai nucléaire nord-coréen et de nouvelles sanctions de l’ONU à l’encontre de Pyongyang, la tension est remontée en flèche dans la péninsule coréenne.

« Un rapide calcul de base fait apparaître que vous pouvez produire environ 40 kilogrammes d’uranium hautement enrichi par an, ce qui correspond à une ou deux bombes », a précisé le spécialiste. Pyongyang ne devrait pas pouvoir être en possession d’une arme nucléaire pour atteindre les Etats-Unis avant « au minimum cinq ans », a estimé Siegfried Hecker. « Mais c’est quand même inquiétant. La situation est sérieuse », a-t-il expliqué, précisant que la Corée du Nord pourrait réaliser un autre essai nucléaire « dans les prochaines semaines, voire mois ».