Eric Domb : "On m’a déjà proposé plusieurs fois de racheter Pairi Daiza"

**Démocrate** Sam 8 Juin - 20:14

Eric Domb : "On m’a déjà proposé plusieurs fois de racheter Pairi Daiza"

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"Il faut enseigner le budget de la Région dès l’école!"

Le fondateur et président de Pairi Daiza évoque pour nous la fréquentation record et les projets du parc, son expérience à la tête du patronat wallon, ses propositions politiques, ses critiques contre notre enseignement et la montée des incivilités. Eric Domb est l’Invité du samedi de LaLibre.be.

On connaît actuellement un début de saison un peu difficile sur le plan météo, la fréquentation de Pairi Daiza en est-elle impactée ?

Nous subissons surtout un retard de la végétation, quelques arbres qui ont souffert de 3 hivers difficiles et des notes de chauffage plus importantes. Très curieusement, la fréquentation du parc a battu tous les records aux mois d’avril et mai. Avec les années, la résistance de nos jardins aux aléas de la météo s’accentue. En 2010, nous avions 700.000 visiteurs, cette année nous devrions atteindre le million !

1.000.000 d’entrées, un rêve de longue date…

Oui, un rêve, presque un phantasme lorsque l’on a ouvert le parc en 1994 avec quelques 160.000 visiteurs. Cela a été une longue marche pour y parvenir.

L’année dernière, vous avez dévoilé la partie consacrée à l’Afrique, quels sont les investissements en cours ?

Nous allons encore embellir les jardins chinois avec - entre autres - la construction d’une montagne destinée à accueillir une tanière à ours et une caverne que les visiteurs pourront traverser. J’y trouve une excuse pour y encastrer de grandes pierres semi-précieuses acquises ces dernières années. Pour la montagne, la technique qui sera utilisée est très ancienne, elle consiste à amasser de la terre, construire une voûte au-dessus avant de retirer la terre. A la surface de cette montagne, nous aménagerons une vaste plantation de thé. Les travaux vont bientôt commencer avec, pour objectif, l’ouverture à Pâques.

Avez-vous déjà eu des propositions d’exportation de votre concept à l’étranger ?

Oui, mais je connais mes limites et j’ai envie de faire une chose ‘de bien et de beau’ dans ma vie. Je ne veux pas qu’on fasse les choses à moitié pour des considérations purement financières, donc mettons toute notre énergie et expertise dans le parc qu’on développe.

Des investisseurs vous proposent-ils d’investir dans le groupe ?

Oui, on m’a déjà proposé plusieurs fois de racheter le parc, mais j’aurais l’impression de vendre mon âme et mon bonheur au Diable. En vérité, j’y perdrais tout. Nous préférons investir à partir de notre cash-flow opérationnel de chaque exercice et à travers de l’emprunt. Actuellement, il ne nous est pas nécessaire d’ouvrir notre capital. L’enjeu serait plutôt de réfléchir à la transmission de cette entreprise à caractère familial avec des actionnaires qui partagent notre vision loin du monde capitaliste actuel.

De 2006 à 2009, vous étiez président de l’Union Wallonne des Entreprises (UWE). Avec le recul, quel bilan en tirez-vous ?

Fort heureusement, ce mandat est limité à 3 ans et non renouvelable. J’en ai retiré – très égoïstement sans doute – beaucoup en terme d’ouverture au monde et aux préoccupations autres que celles de jardiniers de Pairi Daiza. J’y ai rencontré la femme de ma vie. Très modestement, j’ai le sentiment que ma plus-value est surtout d’avoir empêché certaines catastrophes ou la prise de décisions sympathiques dans leurs principes mais dévastatrices dans leurs effets.

On sent comme un regret…

J’ai échoué. Je n’ai pas atteint mon objectif de réunir les 4 partis démocratiques pour révolutionner notre enseignement, qui est LA priorité des priorités. Quand on n’a plus de matières premières, il reste la matière grise… Il faut préparer l’école à donner un maximum de chances à nos enfants face à la mondialisation. Pour cela, il faut recruter les meilleurs enseignants et les former au mieux. Je pense avoir réussi à convaincre 3 des 4 partis, le dernier ne voulant pas suivre pour des raisons électoralistes. C’était un échec. Ce ne sont pas les discours qui vont sauver l’enseignement, il y a une urgence accrue à mieux former les esprits au monde de demain.

Quel enseignement avez-vous tiré de ces contacts avec la classe politique et les syndicats ?

J’ai moins de ressentiment et d’hostilité face à des discours que je qualifierais de ’simplistes’ de la part d’organisations syndicales, car j’ai compris que ce sont des groupes de pression comme les organisations patronales. Dans leurs discours, elles défendent l’intérêt général, mais leur rôle est de défendre celui de leurs affiliés. Dès lors, c’est le politique qui doit assurer l’intérêt général, ce qui est d’autant plus compliqué que de nombreux citoyens ne sont pas prêts à entendre un certain nombre de choses. Clairement, les coalitions empêchent des bons dossiers de passer pour éviter de devoir accepter de très mauvais. Mais il serait intellectuellement malhonnête de concentrer sa frustration sur les politiques.

En gros, vous dites "On a ce qu’on mérite !"…

Bien entendu ! C’est la vérité, d’autant qu’il y a une méconnaissance des enjeux auxquels nos régions doivent faire face. Face à ce manque de lucidité, j’ai une proposition très concrète qui pourrait – je pense – améliorer la démocratie. On devrait pouvoir utiliser les vérités complémentaires de la gauche et de la droite au sein d’un ‘cadre de la lucidité’. Traditionnellement, la gauche se préoccupe d’une légitime justice sociale et la droite du besoin d’épanouissement, de liberté et de récompense des individus. Il est plus que temps d’évoquer le principe de lucidité. Concrètement, il faudrait imposer l’apprentissage du budget de sa région dès l’école secondaire. Je sais, rien que le mot ‘budget’ c’est chiant… mais indispensable ! Comment voulez-vous avoir une démocratie qui fonctionne si le citoyen n’a aucune idée de ce qu’on fait de ses impôts et cotisations sociales, ainsi que des opportunités de dépenses qu’il est possible ou non de faire.

Ce serait radical à vos yeux ?

Je constate que la majorité des enseignants sont complètement déconnectés des réalités d’aujourd’hui. Je suis désespéré du discours qui est véhiculé sur les attentes des entreprises. Notre objectif n’est pas de faire des jeunes de la ‘chair à canon pour entreprises’ comme on l’entend trop souvent. Au contraire, on veut défendre les talents des jeunes, leurs compétences et leurs potentiels auprès des entrepreneurs en stimulant leur enthousiasme, créativité et esprit d’entreprise. Notre devoir, c’est d’outiller nos jeunes face à la mondialisation.

Comme maintenant, vous avez souvent tenu des discours politiques, mais n’avez-vous pas l’envie de vous lancer en politique ?

Ecoutez, je ne suis pas assez courageux pour cela. Le bonheur des entrepreneurs, c’est de pouvoir agir et réaliser une bonne idée. En tant que responsable politique il faut déjà faire un parcours de combattant au sein de son parti, avant d’être aux responsabilités dans un système de coalition, soit de trocs et de chantages permanents. Un politique doit faire des efforts inimaginables… pour un résultat souvent limité. Je n’ai pas ce courage, je préfère rester dans ma plaine de jeux de 50 ha. On ne peut pas tout faire.

Vous avez déjà eu des propositions de certains partis ?

Oui, de plusieurs partis.

Vous craignez les élections de 2014 ?

Non. Il est possible qu’après la plus longue crise, nous ayons le plus long gouvernement fédéral provisoire. Mais quoi qu’on dise, les Belges sont merveilleux : on n’est d’accord sur rien, mais on ne s’est jamais tapé sur la gueule! Les Belges sont fondamentalement raisonnables.

Si vous étiez ministre de l’Economie, quelle grande mesure prendriez-vous de manière prioritaire?

Ma première mesure, qui concerne aussi les Finances, serait de permettre aux entreprises d’amortir leurs investissements à la carte. On devrait encourager les entreprises à investir en tenant compte que les fruits de ces investissements ne tomberont que les années suivantes. Tout le monde connait la difficulté de se financer aujourd’hui. Une entreprise pourrait ainsi déduire l’ensemble de son investissement la première année si elle le souhaite. Tout le monde y gagne : l’emploi, l’acheteur et le vendeur, ainsi que l’Etat qui bénéficie – pas forcément la première année – des retours d’entreprises qui investissent.

Enfin, qu’est-ce qui vous réjouit ou inquiète particulièrement dans notre société ?

Il y a un problème de valeurs. Je suis très attristé de constater un accroissement du vandalisme et des comportements déplacés. Dimanche dernier, nous avons croisé une dame qui arrachait nos plantes pour les donner à manger aux girafes. Ma compagne lui a fait remarquer que si tout le monde faisait cela, il n’y aurait plus de fleur ici. Elle a répondu « Mêlez-vous de ce qui vous regarde ! ». Elle lui a répondu qu’elle était la responsable de la communication du parc, mais a eu comme réponse « Je suis responsable dans une banque, c’est nettement plus important que dans un zoo ! ». J’étais en recul, mais j’ai réagi en arrachant la plante de ses mains. Je n’aurais pas du faire cela, mais c’est la preuve - par l’exemple - que la violence provoque la violence. On le voit aussi sur les commentaires des sites et blogs, il y a une forme d’intolérance, d’immoralité et de brutalité dans les discours qui s’installe. On assiste à une dégradation du comportement civique qui est inquiétante.